Afin d’éviter l’annulation d’une autorisation environnementale lorsqu’elle est affectée d’un vice qui peut être purgé, le juge administratif tire du Code de l’environnement le pouvoir d’inviter le bénéficiaire à régulariser l’autorisation [1].
D’abord mise en œuvre en droit de l’urbanisme, la régularisation en cours d’instance se développe rapidement en matière environnementale, le juge devant y recourir par principe.
Le Conseil d’Etat est venu récemment préciser les conditions dans lesquelles ce pouvoir de régularisation est mis en œuvre.
L’économie générale de la régularisation d’une autorisation environnementale (AE) est la suivante :
- Après avoir vérifié qu’il n’existe pas d’autres vices justifiant l’annulation de l’AE que le vice identifié comme régularisable, le juge administratif invite les parties à présenter leurs observations sur la décision de sursis à statuer qu’il envisage de prendre ;
- Si le juge, après avoir pris connaissance des observations des parties, sursoit effectivement à statuer, le bénéficiaire de l’AE doit alors déposer sa demande de régularisation et l’obtenir dans le délai fixé par le juge.
En pratique la mesure consiste souvent en un complément d’étude environnementale, d’une nouvelle consultation du public ou d’une demande de dérogation « espèces protégées ».
Cette première décision du juge a la nature d’une décision avant-dire droit.
- A l’expiration du délai fixé dans la décision avant-dire droit, le juge statue par une seconde décision, la décision au fond :
- si la mesure de régularisation lui a été notifiée, il statue après avoir invité les parties à lui présenter leurs observations :
=>Si le juge estime que la mesure a régularisé le vice, il rejette le recours.
=>Si au contraire le juge estime que la mesure n’a pas régularisé le vice, il annule l’AE. - Si la mesure de régularisation n’a pas été notifiée, le juge annule l’AE.
- si la mesure de régularisation lui a été notifiée, il statue après avoir invité les parties à lui présenter leurs observations :
L’arrêt du Conseil d’Etat du 18 novembre 2024 donne le mode d’emploi de cette procédure.
La décision a été rendue dans le contexte d’un recours en annulation contre l’AE d’un parc éolien.
En première instance, la Cour administrative d’appel, par un arrêt avant-dire droit, avait constaté l’illégalité de l’AE tirée de l’absence de dérogation « espèces protégées », puis sursis à statuer afin que le développeur du parc régularise ce vice dans un délai de quatre mois.
Le développeur s’était alors pourvu en cassation contre l’arrêt avant-dire droit de la Cour, estimant qu’aucun vice n’était fondé et que par conséquent la Cour n’aurait pas dû mettre en œuvre la procédure de régularisation.
Le Conseil d’Etat ne fait pas sienne cette analyse et juge qu’il y avait bien matière à demander une dérogation « espèces protégées ».
Jugeant la procédure de régularisation fondée, il en profite pour faire œuvre prétorienne et apporte les précisions suivantes au dispositif :
– Concernant la décision avant-dire droit :
- S’agissant des observations que les parties peuvent formuler à l’invitation du juge, elles peuvent porter à la fois (i) sur le caractère régularisable ou non des vices identifiés et (ii) sur les modalités de la régularisation, notamment le délai pour y parvenir ;
- Concernant le délai imparti pour régulariser, il doit être adapté aux mesures de régularisation à prendre ainsi qu’aux « éventuelles contraintes dont l’ont informé les parties » dans leurs observations. Ce délai ne peut être critiqué que dans le cadre d’un recours contre la décision avant-dire droit.
- En l’espèce le Conseil d’Etat, exerçant un contrôle restreint, estime que le délai de régularisation de 4 mois fixé par la Cour n’est pas manifestement insuffisant.
– Concernant la décision au fond :
- Si la régularisation n’est pas intervenue à l’expiration du délai imparti, il est rappelé que le juge peut faire droit à la demande d’annulation de l’AE ;
- Pour autant, les mesures de régularisation notifiées au-delà du délai imparti ne peuvent être écartées par le juge pour ce seul motif et doivent être prises en compte dans l’appréciation de la légalité de l’AE s’il en est encore temps ;
- La mesure de régularisation peut être contestée dans le cadre de la même instance et sans condition de délai tant que le juge n’a pas statué au fond.
Avec ces précisions, souvent inspirées du contentieux de l’urbanisme, le Conseil d’Etat complète de manière pragmatique le dispositif prévu par le Code de l’environnement.
CE, 18 novembre 2024, n° 474372, Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire, mentionné aux Tables du recueil Lebon
Anaëlle Veuillot, avocate, et Simon Barlet, juriste, IROISE AVOCATS
[1] Article L. 181-18 I.2° du Code.