Dans cette affaire, le permis de construire (PC) délivré par le préfet d’Ille-et-Vilaine à la société Agri-Bioénergies pour la construction d’une unité de méthanisation a fait l’objet d’un recours en référé suspension de la part de riverains devant le Tribunal administratif de Rennes.

Le juge des référés a estimé que les deux conditions fixées par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative propres à cette procédure étaient réunies, à savoir :

  • D’une part, un doute sérieux quant à la légalité du PC ; et
  • D’autre part, une situation d’urgence, qui est caractérisée lorsqu’une atteinte grave et immédiate à la situation du requérant est démontrée.
  •  
    Il est utile de préciser ici que, compte tenu des implications d’un permis de construire, la condition d’urgence est présumée remplie lorsqu’un riverain demande la suspension d’un tel permis.

Par une ordonnance du 6 septembre 2022, le juge des référés du Tribunal administratif a ainsi suspendu l’exécution du PC jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité.
Saisi de cette affaire par la société et le ministre de la transition écologique, le Conseil d’Etat, par arrêt du 17 janvier dernier, a annulé la décision du juge des référés du Tribunal administratif de Rennes :
(i) Concernant le doute sérieux quant à la légalité du PC retenu par le premier juge :
En première instance, le juge des référés avait jugé qu’il existait un doute sérieux quant à la légalité du PC au motif que la règle d’implantation dérogatoire revendiquée par le porteur de projet ne s’appliquait pas aux unités de méthanisation.
Pour en arriver à cette conclusion, le juge des référés avait estimé, au nom du principe d’indépendance des législations[1], que les unités de méthanisation n’étaient pas des bâtiments agricoles au sens du PLU.
Ce faisant, le juge des référés n’avait pas pris en compte la définition des activités agricoles posées par le Code rural et de la pêche maritime, selon laquelle la production de biogaz par la méthanisation constitue une activité agricole lorsque cette production est issue pour au moins 50 % de matières provenant d’exploitations agricoles[2].
Selon le Conseil d’Etat, il convenait au contraire de prendre en compte cette définition.

Le Conseil d’Etat écarte par conséquent l’interprétation exagérément stricte du principe d’indépendance des législations retenue par le juge des référés : lorsqu’une disposition d’un PLU s’applique à une catégorie juridique qui n’est pas précisément définie en droit de l’urbanisme, il est possible de se référer à une définition tirée d’une autre législation.
(ii) Concernant la présomption d’urgence retenue par le premier juge :
Le Conseil d’Etat rappelle ensuite que conformément à l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme, lorsqu’un riverain introduit un référé-suspension contre un PC, la condition d’urgence est présumée satisfaite.
Mais le Conseil d’Etat rappelle que la présomption peut être renversée.
En l’espèce, la présomption d’urgence est renversée au regard de deux éléments :

  • Tout d’abord, la société Agri-Bioénergies a prévu de « nombreuses mesures » afin de réduire les nuisances alléguées par les requérants, de sorte que ces nuisances ne peuvent être regardées comme établies ;
  • Ensuite, la suspension du PC affecte la viabilité du projet, qui répond à un motif d’intérêt général tiré du développement de la production d’énergies renouvelables et à un intérêt environnemental tiré de l’amélioration du traitement des déchets issus des exploitations agricoles.
Il ressort donc de cet arrêt un second enseignement selon lequel la présomption d’urgence posée à l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme peut être renversée s’il est démontré en défense que l’urgence alléguée n’est pas caractérisée et/ou qu’un intérêt public justifie le rejet de la demande de suspension.

Si l’affaire est close en ce qui concerne le référé, le recours au fond reste pendant.

Marie de la Hamelinaye et Adrien Le Doré, avocats à la Cour, IROISE AVOCATS
Référence de l’arrêt commenté : CE, 17 janvier 2024, n° 467572

[1] Selon lequel la légalité d’une autorisation prise sur le fondement d’une législation (ici l’urbanisme) ne peut être appréciée à l’aune des règles prévues par une autre législation.

[2] Article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime

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