1. Plus de 10 ans après son adoption en juin 2014, la loi Pinel n’a pas fait sentir tous ses effets dans le monde de la grande distribution.
En effet, l’article L. 752-6 du Code de commerce introduit par cette loi a institué un critère de qualité environnementale et un critère d’insertion paysagère que les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) doivent apprécier lorsqu’elles rendent leur avis sur un projet de création de grande surface.
Le premier critère (qualité environnementale) est apprécié notamment du point de vue de la performance énergétique des bâtiments, de la gestion des eaux pluviales et de l’imperméabilisation des sols.
Le second a trait à l’insertion paysagère du projet, notamment par l’utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales.
Le texte précise que ces critères s’appliquent également aux équipements existants lorsqu’ils font l’objet d’une demande d’extension.
Cette précision témoigne de la volonté du législateur de permettre l’amélioration environnementale et paysagère d’équipements commerciaux vieillissants à l’occasion de leur extension.
Cette disposition est donc lourde d’enjeux pour les porteurs de projet qui, compte tenu de l’interdiction de principe de l’artificialisation commerciale¹, privilégient de plus en plus les extensions.
Restait à savoir comment le Conseil d’Etat interprétait cet élargissement considérable du contrôle des CDAC² lorsque l’extension envisagée est sans effet sur le bilan environnemental et l’insertion paysagère du magasin.
2. Dans le cadre de l’extension d’un équipement commercial, un porteur de projet s’était vu délivrer un avis défavorable de la CNAC au motif que le projet, une fois modifié, ne présenterait pas une qualité environnementale suffisante, notamment au regard de surfaces imperméabilisées trop importantes.
Le porteur de projet avait alors saisi la cour administrative d’appel au motif que, le projet d’extension ne portant pas sur ces surfaces imperméabilisées, il ne pouvait être refusé sur ce fondement.
L’extension consistait en effet en une transformation de réserves en surfaces de vente, sans intervention sur les espaces extérieurs du magasin.
3. La CNAC saisit alors le Conseil d’Etat.
Dans sa décision en date du 19 septembre dernier, le Conseil d’Etat explicite le contrôle de conformité environnementale auquel doit se livrer la CDAC dans le cadre d’une extension.
Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord la lettre de l’article L. 752-6 : dans le cas d’une extension, le critère doit s’appliquer aux « bâtiments existants ».
La Haute Juridiction précise ensuite que la notion de « bâtiments existants » n’est pas limitée aux surfaces de vente mais englobe les installations nécessaires à l‘exploitation du magasin, par exemple les espaces de stationnement et les voies de circulation.
Enfin, le Conseil d’Etat tire toutes les conséquences du texte en considérant que les bâtiments existants font l’objet du contrôle de conformité environnementale quand bien même ils ne seraient pas modifiés par le projet d’extension :
« Il résulte en outre des dispositions du quatorzième alinéa de cet article… que lorsque le projet litigieux vise à étendre la surface de vente d’un magasin de commerce de détail au sens du 2° de l’article L. 752-1 du même code, il incombe aux commissions d’aménagement commercial de s’assurer du respect des critères mentionnés aux a) et b) du 2° du I de l’article L. 752-6 de ce code par les bâtiments existants du magasin…. Il en va ainsi même lorsque l’extension de la surface de vente ne requiert aucune modification extérieure de ces bâtiments. »
Ce faisant, le Conseil retient une interprétation large du contrôle de conformité environnementale, qui ne s’applique pas à l’extension étroitement conçue, mais au projet global après extension.
C’est ainsi le projet dans son ensemble, après modification, qui doit respecter l’objectif de conformité environnementale institué en 2014, la procédure d’autorisation de l’extension constituant à cet égard la « fenêtre » procédurale permettant de contrôler le respect de cet objectif.
4. Le même jour, le Conseil d’Etat a rendu une décision allant dans le même sens, cette fois-ci dans le cadre d’un regroupement de surfaces de vente.
La Haute Juridiction considère que les critères de qualité environnementale et d’insertion paysagère doivent s’apprécier, dans ce cas également, à l’échelle de l’ensemble du projet modifié, et approuve au fond l’appréciation portée successivement par la CNAC et la cour administrative d’appel :
« Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’en relevant que l’installation d’ombrières photovoltaïques et la plantation d’une vingtaine arbres n’apportaient pas une amélioration suffisante à l’insertion paysagère et architecturale d’un espace commercial au caractère massif particulièrement marqué, et que les efforts de perméabilisation des sols consentis par la société pétitionnaire ne portaient que sur moins de quinze pour cent des places de stationnement, pour juger que la Commission nationale d’aménagement commercial n’avait pas fait une inexacte application de l’article L. 752-6 du code de commerce en estimant que le projet ne respectait pas de manière satisfaisante l’objectif de développement durable fixé par cet article, la cour, qui a ce faisant porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n’a pas commis d’erreur de droit. »
C’est ainsi une véritable obligation d’amélioration du projet sous l’angle environnemental et paysager qui est consacrée par le Conseil d’Etat, le porteur de projet ne pouvant s’en exonérer au motif que sa demande ne constituerait qu’une extension ou un regroupement de surfaces de vente.
CE, 19 sept. 2025, n° 476185, Société Bourges Dis
CE, 19 sept. 2025, n° 470356, Société Monfort Force Unie, aux tables du Recueil Lebon
Adrien Le Doré, avocat associé, IROISE AVOCATS (Paris et Saint-Malo)
¹ Cf. le V du même article L. 752-6.
² Et, sur recours, de la Commission Nationale de l’Aménagement Commerciale (CNAC).
³ CAA Versailles, 24 mai 2023, n° 21VE02089 : « 8. La CNAC s’est en troisième lieu fondée sur le maintien d’une artificialisation importante du site. Néanmoins, le projet de la société Bourges Dis soumis à autorisation consistait en l’augmentation des surfaces de vente par une requalification des réserves, sans augmentation de la surface du bâtiment et sans augmentation des surfaces imperméabilisées. Dès lors, si la CNAC pouvait regretter une absence de transformation plus importante des conditions d’exploitation de l’hypermarché par la société Bourges Dis, elle a commis une erreur de droit en tenant compte de l’artificialisation née du projet original de cette société préalablement autorisé par elle pour refuser d’autoriser l’extension en litige. Par ailleurs, le projet, qui comprend la pose de panneaux solaires sur le local vélo, constitue, même si elle reste très minime, une amélioration de l’existant. Dès lors, la CNAC a commis une erreur d’appréciation en regardant comme compromis l’objectif de développement durable fixé par la loi. »