Par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN), le législateur est venu renforcer l’encadrement de l’implantation des grandes surfaces afin de préserver les commerces de centre-ville et prévenir leur dévitalisation.

Le législateur a notamment introduit deux nouveaux critères d’attribution des autorisations d’exploitation commerciale (AEC), l’un tiré de la contribution de la grande surface à la préservation du tissu commercial du centre-ville, l’autre relatif à la nécessité d’implanter la grande surface en centre-ville dans la mesure du possible.

Ces nouveaux critères ayant été contestés en justice, le Conseil d’Etat vient de les juger conformes au droit européen[1], quelques mois après la confirmation de leur constitutionnalité par le Conseil constitutionnel.

Dirigé contre le décret d’application de la loi ELAN du 17 avril 2019, le recours a été introduit par deux requérants : un bureau d’études spécialisé dans l’accompagnement des promoteurs de grandes surfaces et le Conseil national des centres commerciaux (CNCC), qui a contesté plusieurs décrets d’application de la loi ELAN[3].

Étaient notamment contestées devant le Conseil d’Etat les dispositions suivantes :

  1. Le principe même de conditionner l’octroi de l’AEC à un critère de préservation du commerce de centre-ville ;
  2. La nécessité de joindre au dossier de demande une analyse de l’impact de la grande surface sur l’animation et le développement économique du centre-ville ainsi que sur l’emploi ;
  3. La soumission des bureaux d’étude désireux d’établir l’analyse d’impact à une habilitation par l’Etat ;
  4. Enfin, l’obligation pour le demandeur de démontrer que le projet ne peut être accueilli sur une friche en centre-ville ou, à défaut, en périphérie[4].

En sus des griefs d’inconstitutionnalité rejetés par le Conseil constitutionnel le 12 mars dernier, les requérants avaient critiqué les dispositions en question sur le fondement du droit européen : l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, garantissant la liberté d’établissement, et la directive « services » du 12 décembre 2006[5] encadrant les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent refuser une autorisation d’exercice à un prestataire de services.

S’agissant de l’article 49 TFUE, le Conseil d’Etat rappelle que, en droit européen, des raisons impérieuses d’intérêt général peuvent justifier des restrictions à la liberté d’établissement.

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que l’objectif d’aménagement du territoire qui sous-tend les dispositions contestées – i.e. la lutte contre le déclin des centres-villes – constitue une raison impérieuse d’intérêt général.

Cette solution s’inscrit dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel du 12 mars dernier selon laquelle le législateur, en renforçant « le contrôle des commissions d’aménagement commercial sur la répartition territoriale des surfaces commerciales, afin de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes…a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général »[6].

En ce qui concerne la directive « services », les requérants se fondaient sur son article 14, qui interdit aux États membres de subordonner l’exercice d’une activité de services à un test économique consistant à « subordonner l’octroi de l’autorisation à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché, à évaluer les effets économiques potentiels ou actuels de l’activité ou à évaluer l’adéquation de l’activité avec les objectifs de programmation économique fixés par l’autorité compétente », cette interdiction ne concernant toutefois pas « les exigences en matière de programmation qui ne poursuivent pas des objectifs de nature économique mais relèvent de raisons impérieuses d’intérêt général ».

Sur ce point, le Conseil d’Etat estime que les dispositions contestées n’ont ni pour objet, ni pour effet d’instituer des critères constitutifs d’un test économique dans la mesure où les deux nouveaux critères – contribution du projet à la préservation du centre-ville et impossibilité justifiée de s’implanter en centre-ville -, d’une part ne sont pas rédhibitoires et, d’autre part, ont pour seul objet de lutter contre le déclin des centres-villes, qui participe de l’aménagement du territoire.

Les dispositions sont ainsi justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général au regard de la directive.

Le Conseil d’Etat rejette donc le recours à l’encontre des dispositions en question, ce qui clôt le débat au plan national.

Le CNCC ayant saisi la Commission européenne de la contrariété du dispositif ELAN aux textes précités, il est toutefois possible qu’un nouveau chapitre contentieux s’ouvre, cette fois-ci au niveau européen[7].

 Adrien Le Doré et Anaëlle Veuillot, avocats à la Cour

IROISE AVOCATS

 

Références : CE, 15 juillet 2020, n° 431703.

[1] 15 juillet 2020, n° 431703.

[2] Cons. Constit., 12 mars 2020, n° 2019-830.

[3] Notamment le décret du 26 juillet 2019 accordant au Préfet un pouvoir de suspension des demandes d’autorisations d’exploitation. Si la demande de transmission d’une QPC a été rejetée par le Conseil d’Etat (16 mars, n° 434918, cf. la brève précitée), le recours est toujours pendant au fond.

[4] A noter que les requérants contestaient également l’ouverture des commissions départementales d’équipement commercial à des personnalités qualifiées chargées de présenter l’état du tissu économique local (art. L. 751-2-II du Code de commerce). Sur ce point, le Conseil d’Etat a estimé que le grief de contrariété au droit européen soulevait une difficulté sérieuse et a saisi la Cour de justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle (cf. le point 6 de la décision).

[5] Directive 2006/123/CE.

[6] Point 8 de la décision précitée.

[7] Sur cette saisine, cf. https://www.banquedesterritoires.fr/urbanisme-commercial-la-croisade-des-centres-commerciaux-contre-la-loi-elan

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