La revitalisation des centres-villes de villes moyennes est l’un des objectifs de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, du 23 novembre 2018[1].

Pour lutter contre la désertification commerciale et artisanale de certains centres-villes, le dossier de demande d’autorisation d’exploitation commerciale (AEC) doit désormais comporter une analyse d’impact évaluant les effets de son projet sur « l’animation et le développement économique du centre ville de la commune d’implantation »[2] ou des communes limitrophes et démontrant « qu’aucune friche existante ne permet l’accueil du projet envisagé » en centre-ville ou, à défaut, en périphérie[3].

Lors de son examen du dossier, la commission départementale d’aménagement commercial doit en conséquence prendre en compte la « contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial »[4].

Dans les villes les plus exposées au risque de vacance commerciale, pour lesquelles une convention de revitalisation a été conclue avec l’Etat[5], le législateur est allé encore plus loin et a doté le Préfet d’un pouvoir de suspension des demandes d’AEC lorsqu’elles sont susceptibles de remettre en cause les objectifs de la convention[6].

Opposé à ces mesures, le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) a saisi le Conseil d’Etat de recours en excès de pouvoir dirigés contre les deux décrets portant application des dispositions légales précitées[7], recours assortis chacun d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)[8].

Au soutien de la QPC soulevée contre le décret « analyse d’impact », le CNCC exposait que les dispositions de la loi ELAN étaient contraires à la liberté d’entreprendre garantie par la Constitution car elles n’étaient justifiées par « aucun motif d’intérêt général », l’objectif poursuivi étant selon l’association «  un objectif purement économique de protection des commerçants des centres-villes ».

A titre subsidiaire, le CNCC estimait que l’atteinte à la liberté d’entreprendre était en tout état de cause disproportionnée dès lors que « le territoire sur lequel les effets du projet doivent être appréciés serait trop large et que les critères retenus favoriseraient les opérateurs économiques déjà implantés au détriment des nouveaux entrants ».

Dans sa décision du 12 mars 2020, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions en cause poursuivent un objectif d’intérêt général en ce qu’elles contribuent à « favoriser un meilleur aménagement du territoire », et en particulier à « lutter contre le déclin des centres-villes »[9].

Le Conseil constitutionnel estime ensuite que les dispositions relatives à l’incidence du projet sur le territoire d’implantation « se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l’appréciation globale des effets du projet sur l’aménagement du territoire » et « ne subordonnent pas la délivrance à l’absence de toute incidence négative sur le tissu commercial ».

Quant à l’analyse d’impact, le Conseil considère qu’elle vise à « faciliter l’appréciation », par la CDAC, des effets du projet sur l’attractivité du territoire sans pour autant instituer un critère d’évaluation supplémentaire.

Concernant enfin la démonstration de l’absence de friche permettant d’accueillir le projet en centre-ville ou en périphérie, le Conseil constitutionnel considère qu’il s’agit d’un critère d’évaluation supplémentaire que le législateur a pu instituer dans le respect de la liberté d’entreprendre dès lors que cette exigence n’a pas pour effet « d’interdire toute délivrance d’une autorisation au seul motif qu’une telle friche existerait ».

Par ces motifs, le Conseil constitutionnel conclut que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre n’est pas disproproportionnée au regard de l’objectif poursuivi et rejette la QPC.

Quant à la QPC relative au pouvoir de suspension du préfet dans les périmètres « ORT », le Conseil d’Etat a considéré, quatre jours après la décision du Conseil constitutionnel précitée, qu’il n’y avait pas lieu de la soumettre au contrôle de constitutionnalité, faute de caractère sérieux.

Devant le Conseil d’Etat, le CNCC soutenait que la faculté de suspension portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre en ce qu’elle autorisait la suspension d’une demande d’AEC « au regard des seuls effets économiques susceptibles d’être attendus de ces projets sur les territoires ».

De manière cohérente avec la décision constitutionnelle intervenue quelques jours plus tôt, la Haute juridiction administrative a considéré que la procédure de suspension ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre « au regard de l’objectif d’intérêt général qui s’attache à un meilleur aménagement du territoire, et en particulier, à la lutte contre le déclin des centres-villes »[10].

Le Conseil d’Etat a par conséquent refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel.

Les questions de constitutionnalité étant purgées, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la légalité du décret « analyse d’impact » par arrêt du 15 juillet dernier[11].

En ce qui concerne le décret « suspension », le recours est toujours pendant.

Juliette Botella, avocate à la Cour

IROISE AVOCATS

 Références :

  • Décision n° 2019-830 QPC, 12 mars 2020
  • CE, 16 mars 2020, n° 434918

[1] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.

[2] Art. L. 752-6 III C.Com.

[3] Art. L. 752-6 I IV C.Com.

[4] Art. L. 752-6 I 1° e). C.Com.

[5] La convention d’« opération de revitalisation du territoire » (ORT), conclue avec l’Etat, est également issue de la loi ELAN. Elle s’inscrit dans le prolongement de l’action « Cœur de Ville » et a pour objet la mise en œuvre d’un « projet global de territoire » destiné à adapter le tissu urbain pour améliorer l’attractivité des villes moyennes.

[6] Art. L. 752-1-2 C.Com.

[7] Décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d’aménagement commercial et aux demandes d’autorisation d’exploitation commerciale (décret « analyse d’impact »).

Décret n° 2019-795 du 26 juillet 2019 relatif à la faculté de suspension de la procédure d’autorisation d’exploitation commerciale (décret « suspension »).

[8] A noter que le CNCC a également introduit un recours à l’encontre du décret n° 2019-563 du 7 juin 2019 relatif à la procédure devant la Commission nationale d’aménagement commerciale, recours également assorti d’une QPC. La QPC critiquait le choix fait par le législateur de confier à un organisme habilité l’établissement du certificat de conformité de l’ensemble commercial. La QPC a été rejetée par le Conseil d’Etat mais le recours au fond est toujours pendant (voir CE, 29 janvier 2020, n° 433292).

[9] Décision n° 2019-830 QPC, 12 mars 2020.

[10] CE, 16 mars 2020, n° 434918.

[11] Cet arrêt fera prochainement l’objet d’une brève de notre cabinet.

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